Repérer un défaut d’isolation implique d’opérer avec un gradient de température de l’ordre de 10 °C entre l’intérieur et l’extérieur. © Testo
Repérer un défaut d’isolation implique d’opérer avec un gradient de température de l’ordre de 10 °C entre l’intérieur et l’extérieur.
Outil attrayant et ludique, la caméra de thermographie infrarouge est désormais à la portée de tous les acteurs du bâtiment. Or, c’est précisément ce qui inquiète aujourd’hui certains professionnels  du bardage et de la façade.




Première mise au point : en anglais, « appareil photo » se traduit par « camera ». Voilà pourquoi, en français, l’outil ther-mographique est improprement baptisé « caméra », alors qu’il est uniquement capable de prendre des photos dans le spectre infra-rouge. Pur anglicisme. Certes, il existe de véritables caméras thermographiques, capables de filmer l’évolution dynamique d’un phénomène thermique. Mais il s’agit d’outils réservés aux travaux de recherche afin de déceler le caractère dynamique d’un phé-nomène thermique.


Elargissement du marché


Aujourd’hui, la thermographie infrarouge n’est plus réservée aux chercheurs. Pourtant, en faisant appel à de nombreuses notions de physique, d’optique, de thermique et de métrologie, cette discipline reste pour une large part l’affaire de professionnels avertis, qui auront pris le soin de suivre un minimum de formation, avant de se lancer sur les chantiers appareil au poing. Depuis quelques années, la baisse des prix a placé la thermographie infrarouge à la portée des TPE du bâtiment. Aussi, les outils sont devenus plus simples à utiliser. Équipés de matériel plus perfec-tionné, les contrôleurs techniques, experts du diagnostic thermogra-phique et les sociétés spécialisées ne sont plus les seuls à manipuler les thermogrammes (photo prise dans le spectre infrarouge). Aujourd’hui, il est possible d’acquérir une caméra à partir de 1 000 € HT.


Mixage entre image thermique et réelle


Nombreuses sont les caméras qui aujourd’hui permettent de prendre une photographie à la fois dans le spectre IR et dans le spectre visible. De quoi mieux comprendre le thermogramme et faciliter la mise en forme du rapport. Chez Chauvin Arnoux, le « Mix-vision » permet, lors de l’analyse de l’image sur ordina-teur, de faire apparaître de 0 à 100 % l’image IR dans l’image réelle. L’erreur de parallaxe (défaut lié au fait que les deux prises de vue sont effectuées par deux objectifs différents et décalés) est corrigée dans la caméra. Fluke propose le concept « IR-Fusion » qui, selon un prin-cipe identique, permet d’incor-porer l’image infrarouge dans l’image visible. Sur les caméras Trotec, le concept « DuoVision » marie lui aussi, au gré des besoins, images infrarouges et réelles. Flir Systems offre également cette possibilité de superposition des images PIP (picture in picture) ou Thermal Fusion et ce intégrée directement dans la caméra.


Toujours plus d'informations


Les fonctionnalités aujourd’hui greffées sur les caméras facilitent la lecture et le dépouillement : qu’il s’agisse de la prise de vue de l’image réelle simultanément avec incrustation de thermo-gramme ou de l’enregistrement de commentaires audio (micro intégré sur la caméra ou oreillette Bluetooth)… Apparaît également chez Flir Systems un hygromètre capable par liaison radio de rapa-trier vers la caméra les mesures effectuées et de les incorporer à l’image radiométrique pour calcu-ler par exemple un point de rosée « système MeterLink ».
Côté logiciels, certains d’entre eux procèdent à la jonction d’images multiples (comme on peut le faire avec son appareil photo personnel), tout en conser-vant les possibilités offertes par les fichiers radiométriques. Concernant le stockage des données, les standards de l’élec-tronique grand public sont de mise : dans la plupart des cas, les données sont sauvegardées sur une mémoire amovible. Ce qui permet à plusieurs personnes d’utiliser la même caméra sans écraser les données de son col-lègue. Afin de partager l’infor-mation, d’avoir un conseil ou un autre avis sur le chantier, le transfert des thermogrammes peut être réalisé sur un smart-phone avec les applications gra-tuites. La plupart des caméras sont vendues avec un logiciel d’exploitation des données et de mise en forme des rapports de base. À cela, s’ajoutent en option des outils logiciels plus performants. De la même façon, il est nécessaire d’anticiper le coût de la formation adaptée à son matériel et à son activité.


Quelles caractéristiques ?


A9up6f3_1ycdegg_eac.jpg
Le CA 1886 de Chauvin Arnoux permet l’enregistrement de commentaires vocaux

Les caméras utilisées dans le bâtiment, pour la plupart IP44 ou IP54, sont protégées contre les agressions du chantier et les chutes.  
Par exemple, certaines résistent à une chute de deux mètres de hauteur. Elles sont légères et tiennent bien en main. Quelles sont leurs caractéristiques à connaître ?


Taille de la matrice sensible ou capteur :  la matrice, composée de pixels, est impactée par le rayonnement infrarouge traversant l’optique. Les modèles d’entrée de gamme disposent d’une matrice de 2 200 à 19 000 pixels. Un minimum de 19 000 pixels permet, à précision égale, de viser une plus large surface et d’obtenir plus de détails sur le thermogramme.


Optique : elle est composée de lentilles traitées spécialement pour le spectre infrarouge. C’est ce qui explique en partie le coût d’une caméra. Principale caractéristique : la distance focale, par exemple 20° x 15°. Le capteur étant rectangulaire, le premier chiffre concerne l’ouverture horizontale et le second l’ouverture verticale. Viser avec du recul une seule fenêtre ou la totalité de la façade d’un bâtiment sans prendre de recul, nécessite évidemment une distance focale adaptée. Mais il faut se rappeler qu’un objectif grand-angle dégrade la résolution. Le choix est-il figé à l’achat ? Oui, pour certaines caméras dotées d’un objectif fixe « passe-partout » (en général de 20° d’ouverture). 


Mais pouvoir changer d’objectif est un atout supplémentaire si l’opérateur souhaite élargir son champ d’activités. Pour cela, des compléments optiques peuvent, sur certaines caméras, se fixer par-dessus l’optique d’origine. Enfin, il existe des appareils à objectifs interchangeables.
Résolution spatiale (IFOV) : elle résulte de la combinaison des caractéristiques du capteur et de la distance focale de l’objectif ; le nombre de pixels permet de calculer la résolution spatiale de la caméra, c’est-à-dire la dimension la plus petite vue par un pixel. Par exemple, une caméra dotée d’une résolution spatiale de 2,2 mrad (milliradians) permettra de distinguer un détail de 2,2 mm de côté à 1 m de distance. Pour la même résolution, mais à 50 cm de distance, le détail visible sera de 1,1 mm. Ainsi, plus le détail visé est petit, plus la résolution spatiale devra être basse.
Au-delà de ces considérations théoriques, dans la pratique il est habituellement reconnu par les fabricants qu’une mesure de température est correcte pour un objet faisant la taille de 3 IFOV. Par exemple, un IFOV de 1 mrad permettra de mesurer assurément la température d’un objet de 3 mm (à 1 mètre).



La résolution thermique appelée aussi la sensibilité ou le NETD (Noise equivalent temperature difference)  traduit la plus petite différence de température perceptible entre deux pixels. Les caméras d’entrée de gamme offrent une sensibilité de 0,1 à 0,3 °C. Une bonne résolution thermique permet notamment d’effectuer des missions de thermique du bâtiment malgré de faibles écarts de température intérieur/extérieur. Aujourd’hui, même en entrée de gamme, il est possible d’avoir une bonne résolution thermique de 0,045 à 0,08 °C.


Plage de température : une caméra est conçue pour une utilisation sur une plage de température définie. Pour les applications classiques dans le bâtiment, une plage de – 20 à + 100 °C, voire + 250 °C, suffit largement.


Émissivité (e) : ce paramètre, dont la valeur évolue entre 0 et 1, est propre à la surface de la cible visée. Les tables d’émissivité des principaux matériaux sont bien connues (via les fabricants de caméras ou sur Internet). De ce paramètre dépend la précision des mesures effectuées. Pour les besoins d’une intervention immédiate et ponctuelle, le réglage de l’émissivité sur l’appareil semble évident (lorsque cela est possible). En revanche, pour une campagne de mesures, la correction pourra être appliquée  a posteriori avec l’outil logiciel. Certaines caméras permettent indirectement le réglage de l’émissivité en sélectionnant dans un menu le matériau visé (bois, métal, plastique…) et son aspect (brillant, semi-brillant, mat…).


Autonomie : elle est en général de 3 à 5 heures. 


Il est bon toutefois de s’assurer de la présence d’une batterie Ion-lithium permettant une meilleure autonomie et de prévoir, le cas échéant,  
l’achat d’une seconde batterie. 


Thermographie et façades


Il n’existe pas, à proprement par-ler, de caméras dédiées à tel ou tel corps de métier, mais plutôt d’outils offrant plus ou moins de précision et de fonctionnalités. C’est pourquoi un appareil utilisé pour une mission précise pourra rendre bien d’autres services. Plusieurs usages de la thermo-graphie existent d’ores et déjà dans le bâtiment : le diagnostic thermique de l’enveloppe et des équipements dans un objectif technique ou commercial et plus récemment des démarches de vérifications des travaux ou des prestations réalisés. Des contrôles qualité qui tendent aujourd’hui à se développer avec le passage pour les acteurs de la construction d’une obligation de moyen à celle de résultats au plan énergétique et thermique. Pour le monde de la façade et du bardage, les applications sont nombreuses : localiser des zones de fortes déperditions ther-miques, identifier des défauts d’isolation, détecter des fuites d’air ou encore visualiser des ponts thermiques de liaisons ou intégrés. Visuellement, les résultats sont souvent specta-culaires. Ce qui fait au passage de cette technique, un excellent outil de marketing et de com-munication, le rendu étant très compréhensible par un client ou un maître d’ouvrage non averti. Autre avantage : les résultats sont instantanés et effectifs. Autrement dit, ils traduisent une performance réelle et non conventionnelle. Une caractéris-tique qui rend la thermographie particulièrement adaptée aux opérations de diagnostic sur l’existant. 


Des réserves pour le neuf


En revanche, les professionnels se montrent nettement plus réservés quant à son utilisation en matière d’autocontrôles et de contrôles dans le neuf. D’abord parce qu’elle ne permet pas de définir un niveau d’isolation ou de déperdition ther-mique ni de quantifier la perméa-bilité à l’air d’une enveloppe. Ensuite parce qu’elle entraîne une sophistication des contrôles jugée inutile par les profession-nels. Identifier un pont thermique sans en donner la valeur n’a guère d’intérêt surtout lorsque celui-ci a fait l’objet d’un calcul en amont. Quant aux défauts de mise en œuvre, les professionnels estiment qu’ils peuvent être la plupart du temps mis en évidence par une simple vérification visuelle. Par ailleurs, l’utilisation de la ther-mographie en construction neuve comporte un certain nombre de contraintes. Il faut ainsi que le bâtiment soit terminé et chauffé, ce qui implique que les contrôles soient réalisés par l’ensemble des corps de métier et limite l’utilisa-tion en été. Enfin, la simplicité de l’image thermique est trompeuse. Le manque de connaissance et de maîtrise du protocole opératoire peut induire un risque d’erreurs important dans l’interprétation des résultats. Celle-ci est encadrée par une norme (NF EN 13 187) qui impose un cadre d’intervention strict. Or, sur le terrain, ces exi-gences très contraignantes sont rarement appliquées.


Il est indispensable de connaître l’émissivité des matériaux observés qui pourra donner une température apparente  très différente de la réalité.


En plus des précautions d’emploi énoncées par les fabricants, l’analyse doit prendre en compte d’autres fac-teurs qui peuvent fausser les résul-tats notamment pour les mesures en extérieur. Il est ainsi indispen-sable de connaître l’émissivité des matériaux observés qui pourra donner une température appa-rente très différente de la réalité. De même, les phénomènes radia-tifs ont une incidence forte sur le thermogramme : rayonnement de l’environnement extérieur, de l’éclairage public voire d’autres matériaux de construction sur la surface à mesurer. Les pièges sont nombreux. La thermogra-phie demande donc  de solides compétences, très éloignées de l’image désormais grand public de ces appareils. Pour l’heure,  leur démocratisation suscite de nombreuses interrogations et inquiétudes dans les entreprises du bâtiment. Le risque : une infla-tion de contrôles sur les chantiers avec à la clé un usage désordonné et des interprétations simplistes ou erronées, sources de contentieux. Missionné sur ces questions par le programme « Règles de l’art Grenelle Environnement 2012 », le CDPEA (Construction durable et performance énergétique en Aquitaine) devrait prochainement rendre une étude visant à mieux délimiter l’apport et les limites de la thermographie dans le bâti-ment. Au final, l’enjeu est surtout de définir de nouveaux modes de contrôles qualité dans le bâtiment qu’ils fassent appel ou non à la thermographie infrarouge.


Précautions d’emploi élémentaires


A91lszuhp_1ycdege_eac.jpg
Cette façade exposée au soleil recèle de nombreux pièges pour l’analyse du thermogramme.

Repérer un défaut d’isolation implique d’opérer avec un gradient de température de l’ordre de 10 °C entre l’intérieur et l’extérieur. La période hivernale reste le moment idéal pour ce type de mesure. Il faut être attentif aux zones ensoleillées ainsi qu’à l’angle de visée. Les conditions extérieures doivent être contrôlées, un temps couvert est généralement préférable. Mieux vaut également éviter des changements de températures intérieures plusieurs heures avant l’inspection.  Il est important de travailler en régime stationnaire et d’éviter les effets dynamiques. D’où la nécessité de connaître et de prendre en compte les temps de déphasage des isolants  et l’inertie du bâtiment. L’identification de fuites d’air doit s’effectuer du côté où la pression est la moins élevée. Un écart minimum de 5 Pa est recommandé par la norme NF EN 13 187.