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Entretien avec Céline Laruelle, ingénieure au sein du service Bâtiment de l'Ademe

L'expérimentation E+C- a été lancée fin 2016 par les pouvoirs publics. Son objectif : définir les standards des bâtiments de demain à travers leurs performances énergétiques (généralisation du Bepos) et la réduction de leur empreinte carbone. Cette vaste campagne aboutira à la rédaction de la future réglementation environnementale.

L'expérimentation E+C- a débuté il y a un peu plus d'un an. Quels sont les premiers retours d'expérience ?

L'expérimentation vise à tester les méthodes de calcul sur des bâtiments déjà réceptionnés, à évaluer les niveaux ambitionnés et leur réalisme économique. Son succès dépend de l'implication des maîtres d'ouvrage car ce sont eux qui, en mettant à disposition leurs données, permettent d'avancer. À ce jour, une centaine de bâtiments a été répertoriée, principalement dans la maison individuelle et le logement collectif. La majorité s'est vue attribuer le niveau E2 C1. Nous considérons ce premier bilan comme positif mais il est encore trop tôt pour en tirer des recommandations et des grandes tendances. La mobilisation des professionnels du secteur doit rester soutenue pour faire avancer l'expérimentation.

Quelles sont les actions de l'Ademe pour inciter les acteurs de la construction à s'impliquer davantage ?

Nous avons mis en place fin 2017 le programme « Objectif énergie bas carbone » (Obec). Il priorise trois volets principaux. Tout d'abord, nous avons chargé treize bureaux d'études volontaires (un par région), de réaliser vingt analyses de cycle de vie (ACV) de bâtiments réceptionnés afin de tester et se familiariser avec les méthodes de calculs. Ces calculs sont entièrement gratuits pour les maîtres d'ouvrages. Tous les bâtiments peuvent être intégrés dans le programme, à condition qu'ils respectent la RT 2012. Les maîtres d'ouvrage fournissent alors au bureau d'études référent les données mentionnées dans les Dossiers des ouvrages exécutés (DOE) nécessaires aux calculs. Ces derniers aboutissent à une classification indiquant quel serait le niveau du bâtiment s'il était soumis au label E+C-.

Nous mettons ensuite l'accent sur la formation, auprès des maîtres d'ouvrage et des bureaux d'études. Pour les premiers, il s'agit de journées d'information et de sensibilisation alors que pour les seconds, nous organisons des sessions de formation proprement dites. L'objectif est de leur apprendre à se servir des logiciels, les briefer sur la méthode…

Encore une fois, ces sessions sont gratuites.

Le dernier axe de travail concerne spécifiquement la conception. Dans chaque région, dix projets vont être sélectionnés. Les bureaux d'études impliqués seront accompagnés par le bureau d'études référent local afin de penser le bâtiment en fonction des différents objectifs fixés par le label. L'accompagnement sera gratuit et le calcul ACV sera financé à 50%.

Comment calcule-t-on les performances d'un bâtiment au regard du futur nouveau label ?

Les Fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) des produits et des matériaux mis en œuvre constituent la base de ces calculs. D'où l'importance d'avoir des données à jour et correctement renseignées.

Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui…

La base Inies, qui compile l'ensemble des FDES, est en effet largement incomplète. Elle s'est même appauvrie depuis la mise en place de l'obligation de vérification des données par un organisme tiers. Celles qui n'ont pas fait l'objet de cette validation ont été supprimées. Pour mener à bien cette expérimentation, il est impératif que les industriels se mobilisent pour renseigner les données concernant leurs produits.

L'expérimentation peut-elle mener à des réajustements des niveaux de performance E et C ?

Nous avons constaté qu'il peut y avoir des antagonismes entre les deux niveaux. Par exemple, les premiers retours d'expérience ont montré qu'aujourd'hui, en maison individuelle, il n'est pas possible d'atteindre la catégorie E4 C2. En fonction des matériaux et des équipements sélectionnés, le E peut être très bon mais en ayant recours à des produits dont l'empreinte environnementale est pénalisante pour le C. C'est pourquoi le secrétaire d'État à la cohésion des territoires a annoncé le 8 mars dernier que le référentiel sera revu afin de décorréler les deux indicateurs. Avec au final, la possibilité pour les maîtres d'ouvrage de privilégier l'un ou l'autre.

« La base Inies, qui compile l'ensemble des FDES, est en effet largement incomplète, elle s'est même appauvrie. »

Quelle est, là-dessus, la position de l'Ademe ?

Nous sommes conscients qu'au sein d'un même ouvrage, cet antagonisme entre le E et le C peut être difficilement surmontable. En revanche, si l'on envisage le bâtiment à une échelle plus large, comme celle du quartier, les productions d'énergie peuvent être mutualisées entre plusieurs bâtiments, ce qui permet de gagner des points sur le plan énergie sans impacter défavorablement l'aspect carbone. Nous venons de lancer un programme de recherche en partenariat avec le CSTB sur cette approche afin de débuter la caractérisation d'un label à l'échelle d'un quartier.

Quelles sont les prochaines étapes de l'expérimentation ?

Il faut avant tout enrichir la base Inies et former les professionnels. L'objectif d'un passage de l'expérimentation vers la réglementation paraît envisageable pour l'année 2020. L'enjeu de l'expérimentation sera également la montée en compétences d'un maximum d'acteurs de l'acte de construire afin d'assurer une bonne acceptation d'une nouvelle réglementation.