Le nouveau quartier Clichy-Batignolles à Paris sort progressivement de terre. Aux côtés du futur Palais de justice en cours de construction et du parc Martin Luther King, plusieurs immeubles de logements et de bureaux esquissent déjà l’image que prendront les 54 hectares de cette partie du 17e arrondissement. Les choix architecturaux de ces projets sont résolument variés et contemporains, « reflétant la pluralité culturelle et esthétique de l’époque actuelle », explique la Mairie de Paris. À croire même que les maîtres d’œuvre se sont lancés dans une course à l’originalité. La diversité des formes, des aspects et des matériaux proposés par chacun d’eux illustre bien la tendance à la personnalisation que suit l’architecture depuis quelques années. Un mouvement auquel participe pleinement la façade, notamment grâce au bardage et les possibilités qu’il offre en la matière.
Sur les centres commerciaux, l’impression en façade peut remplacer les enseignes.
Bordant le jardin Martin Luther King d’un côté et surplombant une petite esplanade de l’autre, un immeuble de logement R+9 est en passe d’être achevé. Conçu par l’architecte Francis Soler, sa spécificité réside dans le traitement particulier dont ont bénéficié les parements extérieurs en aluminium qui l’habillent. Ces cassettes sont en effet partiellement recouvertes de dessins, « en référence aux graffs et au street art, précise l’architecte, mais aussi pour prolonger une expérience d’impression sur verre réalisée, voilà déjà 20 ans, rue Emile Durkheim à Paris. Ici, sur de la tôle, et pour montrer que cet art n’est pas forcément contestataire, j’ai fait le choix d’images douces inspirées d’artistes entrés dans l’histoire tels que Botticelli ou Dali, mais aussi d’objets du quotidien comme une tasse, une baignoire et autres fragments figuratifs du mouvement ». Chaque dessin est formé par une multitude de petites images, assemblées les unes aux autres et qui, suivant la distance avec laquelle on les observe, donnent à voir différentes lectures, chacune toujours précise.
Des tailles de parement limitées
Les dimensions maximales des parements sont définies par les machines. Ainsi, chez ArcelorMittal Construction, Céline Bordère rappelle que « l’imprimante a une capacité de 2 m de large ». La longueur est limitée par la chaîne de peinture en finition, soit 6,50 m. Dap précise, quant à elle, que le panneau stratifié ne peut dépasser les 2 700 × 1 200 mm pour une épaisseur allant jusqu’à 13 mm. Les parements imprimés de FunderMax peuvent aller jusqu’à 4 060 × 1 260 mm pour des épaisseurs en usage extérieur de 6, 8, 10 et 12 mm. La sublimation proposée par Déco Galva est possible jusqu’à 7 000 × 1 000 mm.
Sublimation
Pour aboutir à ce résultat, 1 600 panneaux en aluminium de 70 cm de large pour 1 m de haut ont bénéficié d’un transfert d’image par sublimation. Cette technique est réservée aux parements métalliques sur lesquels a été réalisée une première application de peinture et de vernis pour permettre un bon accrochage de l’encre. En parallèle, le dessin recherché est imprimé sur de grands lés de papier. « La face encrée est déposée sur le vernis puis pressée et chauffée à 200 °C. L’encre passe directement de l’état solide à gazeux et pénètre le vernis qui fixe les colorants », décrit Jacques Mouzin, directeur commercial chez Déco Galva (procédé Décosteel). à partir d’un fichier numérique haute définition du dessin ou de la photo (Photoshop, Illustrator…), n’importe quelle image peut ainsi être reproduite, quel que soit le niveau de détail souhaité. « La forme des parements constitue la principale contrainte, poursuit Jacques Mouzin. En effet, l’application du papier sur la surface à décorer ne doit générer aucun faux pli ou risque de déchirement. »
Grâce aux techniques d’impression sur bardage, les façades se revendiquent des œuvres d’art comme ici dans la nouvelle ZAC Batignolles. (Architecte : Philippe Soler)
La technique la plus utilisée aujourd’hui est celle dite de l’impression directe. Elle peut se décliner sur tous types de support rigide (aluminium, acier, composite…), à condition que la surface soit plane, c’est-à-dire sur cassettes, profils ou panneaux. « Cette technologie utilise l’impression numérique à jet d’encre, soit le même principe qu’une imprimante de bureau en beaucoup plus grand », décrit Céline Bordère, chargée d’affaires chez Thermolaquage Saunier, qui travaille, entre autres, pour ArcelorMittal Construction et sa gamme Muralys. L’image, idéalement vectorisée pour pouvoir être agrandie sans perte de résolution, fait l’objet d’une simulation sur le bâtiment. « Si besoin, le dessin est répété plusieurs fois pour couvrir l’ensemble de la surface. C’est assez courant notamment lorsqu’il s’agit de décors végétaux. » Après validation par le client, les panneaux sont préalablement recouverts d’une sous-couche (thermolaquage poudre ou peinture liquide) avant d’être emboîtés les uns aux autres cinq par cinq pour passer dans l’imprimante.
Une lampe UV vient sécher l’encre instantanément. Un vernis de finition anti-UV et anti graffiti fixe l’ensemble.
Les industriels des panneaux stratifiés compact HPL et certaines entreprises ou comme Dap (Stratimage) proposent, en parallèle de l’impression à jet d’encre, une autre solution spécifique à ce matériau. Cette dernière intègre l’image directement au cœur du matériau au moment de sa fabrication. « Il s’agit d’un procédé d’inclusion de dessin ou de photo numérique sous haute pression à partir d’une résine thermodurcissable, précise Thierry Prat, directeur de Dap. L’image est tout d’abord imprimée sur une feuille de papier poreux pour permettre à la résine de le traverser. » Elle est ensuite installée en surface du panneau et recouverte par un overlay de résine thermoducissable. L’ensemble est soumis à une haute pression de 2 400 tonnes et à une température de 150 °C. Le papier décor constitué se solidarise alors avec la fibre papetière formant le noyau. Seule l’image apparaît en surface. Le parement est prêt-à-poser.
La précision de l’impression permet d’offrir aux façades une double lecture, de près et de loin.
Ces différentes techniques sont utilisées depuis une dizaine d’années. L’un des ouvrages les plus connus reste à ce jour l’Arena de Montpellier et sa façade cristallisée grâce au procédé de l’impression jet d’encre (Muralys d’ArcelorMittal Construction). Ce bâtiment a été conçu par l’agence A + Architecture et livré en 2010. 2 588 lames aux dessins tous différents reproduisent ainsi une améthyste sur les 4 200 m² d’auvent du site. « Nous souhaitions offrir à ce bâtiment à la géométrie simple une animation presque magique et surtout unique », explique l’architecte Philippe Cervantes.
Marché
Mais le concept peine encore à décoller. Chaque année, les industriels spécialisés dans l’impression comptabilisent au maximum cinq à six chantiers avec façade imprimée, soit entre
5 et 10 000 m² chacun. Si, chez Fundermax, on revendique une cinquantaine de projets annuels, il reste difficile de parler de véritable tendance. « La mode est à l’originalité et l’impression est un outil permettant d’atteindre cet objectif, ajoute Philippe Cervantes. Elle répond également à notre société où l’image est omniprésente. Mais elle reste une solution parmi d’autres. »
Perspectives
Les industriels sont plus optimistes sur les perspectives de développement. Dap, spécialisée dans la fabrication et l’impression de panneaux stratifiés pour différentes applications, sent le vent tourner et se positionne sur le marché de la façade depuis un an. Chez Fundermax (Max Exterior Individual Design), cela fait deux ans que les commandes de décor personnalisé se font de plus en plus fréquentes. Même constat chez ArcelorMittal Construction : « on constate une nette progression des demandes, souligne Peggy Schouler-Guinet, en charge des revêtements. Au fur et à mesure que l’idée s’est fait connaître, elles ont évolué. Au début, les photos et les effets de matière étaient largement majoritaires. Aujourd’hui, les architectes se présentent avec des dessins originaux. » Pour Jacques Mouzin, il existe deux démarches qui poussent à recourir à l’impression sur parements : « Soit ces solutions constituent un nouveau mode d’expression pour les architectes qui se positionnent dans un processus artistique. Soit la façade devient vecteur de communication en affichant la destination de l’ouvrage ou un logo. » C’est le cas par exemple de certaines salles de sport ou de surfaces commerciales. Dans tous les cas néanmoins, «il reste du chemin à parcourir pour que maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre s’approprient ces techniques ».
Suivi
En effet, on pouvait s’y attendre, comme pour tout produit haut de gamme, le premier frein reste le prix. De plus, « ces solutions demandent une approche technique plus contraignante qu’un bardage classique », ajoute Peggy Schouller-Guinet. Travail de l’image, adaptation au bâtiment, précision du calepinage, exigences de mise en œuvre, notamment au niveau des jonctions… « Le projet doit être étudié très en amont. Il faut une bonne communication entre tous les acteurs. En effet, la fabrication des parements et leur pose doivent être suivies de près à chaque étape. » « L’exécution doit être parfaite car cela peut rapidement virer à la catastrophe », abonde Philippe Cervantes.
L’alternative adhésive
Moins chers que l’impression sur parements, les films adhésifs investissent aussi le marché de la décoration de façade. La société Sitep, par exemple, propose aux côtés de prestations d’impression directe, une offre d’adhésif décoratif, adapté aussi bien au neuf qu’à la rénovation. Sur surface plane, il sera monomère ou polymère ou lorsque la surface présente des reliefs, le choix se portera sur un adhésif PVC dit « coulé », « sans mémoire de forme, précise Gérard Grouleau, responsable commercial de l’entreprise. Il est chauffé à la pose et épouse toutes les déformations sans rétreint, c’est-à-dire que les poussières ne s’accumulent par sur ses bordures ».
Applicables sur tous types d’ouvrage et de surface, excepté le bois « que nous ne conseillons pas », les durabilités de ces produits varient. Les monomères sont prévus pour une période de 3 à 5 ans, les polymères entre 5 et 7 ans et les coulés 10 ans. à noter également que contrairement à l’impression, les adhésifs sont enlevables. Pour les ôter, il faut les chauffer afin de reconditionner la colle. Elle reste ainsi sur l’adhésif et pas sur le support.
Les techniques d’impression semblent aujourd’hui abouties, notamment en termes de qualité de retranscription des images. Les investissements sont d’ailleurs majoritairement dédiés à l’acquisition de machines permettant la reproduction d’images de plus en plus nettes. Leur tenue dans le temps est garantie entre dix et quinze ans selon les procédés. Les développements possibles consistent plutôt à diversifier les typologies de support. Ainsi, ArcelorMittal Construction travaille actuellement à l’étude de faisabilité de l’impression directe sur acier galvanisé, sans traitement préalable par thermolaquage.