Les exigences de tri et de valorisation des déchets du bâtiment s’appliquent au 1er janvier 2023. Les agréments des éco-organismes et les barèmes des éco-contributions n’ont pourtant été publiés qu’au début du mois d’octobre. Un délai tardif qui pose beaucoup de questions encore sans réponse et inquiète les acteurs de la filière.

L’échéance approche. La Responsabilité élargie du producteur « Produits et matériaux de construction du bâtiment » (REP PMCB) entre en vigueur le 1er janvier prochain. Il ne reste donc plus que quelques semaines à la filière pour s’organiser et respecter les exigences définies dans la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC) du 10 février 2020. Pour rappel, cette dernière impose la mise en place d’actions pour éviter les dépôts sauvages des déchets du bâtiment (estimés à 100 000 tonnes par an par la Fédération professionnelle des entreprises de recyclage (Federec)) via leur reprise sans frais et la densification du maillage des points de collecte. L’atteinte de cet objectif est également conditionnée au développement des filières de réemploi et de recyclage ainsi qu’à une meilleure traçabilité du devenir des déchets.

Les définitions relatives à la REP PMCB sont précisées dans le décret n° 2021-1941 du 31 décembre 2021. Sont ainsi visés « les produits et matériaux, y compris les revêtements de murs, sols et plafonds, qui sont destinés à être incorporés, installés ou assemblés de façon permanente dans un bâtiment ou utilisés pour les aménagements liés à son usage situés sur son terrain d’assiette ». Les familles de produits et matériaux concernées sont répertoriées et listées en deux catégories : celles constituées majoritairement en masse de minéraux ne contenant ni verre, ni laine minérale ou plâtre et les autres produits et matériaux de construction. Quant aux déchets du bâtiment, « ils sont issus des produits ou matériaux de construction du secteur du bâtiment qui sont produits lors des opérations de construction, de rénovation, d’entretien ou de démolition d’un bâtiment et des aménagements liés à son usage ».

Pollueur-payeur

La REP PMCB, comme toutes REP, suit le principe du pollueur-payeur. Elle s’applique aux « metteurs sur le marché » des produits et matériaux de construction, c’est-à-dire les personnes morales ou physiques fabriquant ou faisant fabriquer sous leur propre nom ou leur propre marque. Les industriels du bâtiment ainsi que les distributeurs se verront donc bientôt dans l’obligation d’organiser la prévention et la gestion des déchets issus de leurs produits et matériaux en fin de vie. Pour cela, deux solutions : ils peuvent les prendre en charge eux-mêmes ou les déléguer à un éco-organisme agréé par l’État. En y adhérant, le metteur sur le marché lui transfère ses responsabilités en la matière. Ils sont quatre à avoir reçu le sésame : Valobat, Valdelia, Eco minéraux et Eco maison. Leurs missions : augmenter les taux de recyclage et de valorisation des déchets du bâtiment, développer le réemploi et l’éco-conception. 

Pour financer ces actions, les adhérents leur versent une éco-contribution sur chacun des produits et matériaux mis sur le marché. Leurs montants sont propres à chaque structure et ont été définis en fonction des caractéristiques des matériaux, de leur recyclabilité, de la maturité des filières… « Chaque éco-organisme a calculé son budget pour la réalisation des opérations de collecte, de tri, de traitement, de recyclage en fonction de ses analyses de l’existant et de ses ambitions, sachant que tous les éco-organismes sont tenus par le cadre commun d’un cahier des charges publié en juin dernier », explique Florence Collot, directrice des adhérents chez Valobat. Les éco-organismes sont en effet soumis à une obligation de résultat avec des objectifs précisément définis. Ces derniers distinguent, pour chacune des catégories de déchets, les taux de collectes recyclés et valorisés. Évolutifs, ils affichent un premier palier en 2024 qui se durcit en 2027. Par exemple, s’agissant des déchets d’autres matériaux, dont font partie une majorité des produits de bardage, le taux de collecte à atteindre est de 53 % en 2024 et 62 % en 2027.

Le réemploi : des performances encore à évaluer

Vertueux par essence, le réemploi pose néanmoins une question de taille : comment garantir qu’un produit a conservé ses performances après une première utilisation ? « Il manque de référentiels de validation pour ces cas de figure et se pose alors la question du domaine d’emploi, similaire ou différent, de la responsabilité et de l’assurabilité des produits… » souligne Matthieu Biens, directeur marketing et développement produits pour l’Europe du sud chez Rockwool. « Il y a toujours une part de déclassement dans le réemploi. Pour la calculer, il faut définir une méthode simple et pragmatique pour inciter à l’évaluation, sinon personne ne s’y lancera », rappelle Manuel Decoodt, président de la commission développement durable de la Chambre syndicale française de l’étanchéité (CSFE).

Agréments et barèmes

Les ambitions de la REP PMCB sont louables et nécessaires. Sa mise en pratique cependant interroge. Si les industriels et les distributeurs sont en première ligne, c’est bien toute une filière qui va devoir s’y adapter. En effet, la reprise gratuite des déchets est conditionnée à une exigence : le tri à la source, soit, sur chantier. Une tâche qui revient aux entreprises de pose. Ces dernières sont rodées à l’exercice mais les conditions vont radicalement changer dans des délais très courts. « Lors des discussions avec les pouvoirs publics, nous avions demandé à être informés des tenants et des aboutissants de la REP au moins neuf mois avant son application, déplore Jean Passini, président de la commission « environnement et construction durable » de la Fédération française du bâtiment (FFB). Les agréments et les barèmes n’ont été publiés que début octobre. Il ne nous reste donc plus que quelques semaines pour nous approprier ces nouvelles règles. » Et de nombreuses questions, financières et organisationnelles, restent encore aujourd’hui sans réponse.

Ce que l’on sait à ce jour, c’est que les metteurs sur le marché doivent choisir un éco-organisme. « Nous sommes en pleine phase de découverte, explique Benoît Steiner, dirigeant du distributeur Roofmart. Nous devons recenser l’ensemble des produits concernés chez nous (ceux pour lesquels nous sommes metteur sur le marché et ceux pour lesquels nous sommes distributeurs) puis réfléchir à la manière dont nous allons calculer, répercuter, collecter et reverser les éco-contributions. Il faudra certainement faire des développements pour adapter notre ERP. » Les montants devraient, dans la grande majorité des cas, être additionnés au prix de vente du produit. Certains sont proches de 0 lorsque la filière de récupération et de recyclage est déjà mature comme l’acier par exemple. « Les produits de nos adhérents ont, dans leur très grande majorité, une fin de vie vertueuse », rappelle Valérie Prudor, déléguée générale de l’Enveloppe métallique du bâtiment (EMB). D’autres, également utilisés dans les systèmes de bardage, peuvent dépasser les 30 euros la tonne car il reste beaucoup à faire pour développer les filières (voir encadré).

« Les taux sont très divers d’une famille à l’autre et d’un éco-organisme à l’autre. Faibles pour les isolants, ils pourraient atteindre 3 à 4 % pour l’étanchéité », évalue Benoît Steiner. Bien que non obligatoire réglementairement, les éco-organismes ont fait le choix d’imposer contractuellement aux metteurs sur le marché leur mention claire sur les factures. En revanche, rien d’obligatoire pour les autres maillons de la chaîne, obscurcissant de fait leur calcul et leur montant. À l’heure où les prix des matières premières et de l’énergie avoisinent déjà des sommets, la question de qui va payer au final est sur toutes les lèvres. « Personne, vu que la reprise des déchets autrefois payante devient gratuite ! », rappellent en cœur des éco-organismes. À la Fédération française du bâtiment, on est plus nuancé : « Les entreprises vont certes faire une économie mais elle ne devrait pas compenser à terme la totalité de l’éco-contribution », souligne Jean Passini. Ce sera d’autant plus le cas dans le neuf qui ne génère que peu de déchets pour beaucoup de produits mis en œuvre (et donc d’éco-contributions payées) contrairement aux chantiers de rénovation dont les économies réalisées sur la reprise des matériaux déposés devraient compenser les éco-contributions versées sur les produits neufs. Et quid des marchés devisés avant le 1er janvier 2023, donc sans répercussion de l’éco-contribution mais facturés après ? La note risque, dans un premier temps au moins, d’être salée. À terme, une éco-modulation devrait être progressivement mise en place. Elle avantagera les produits et matériaux intégrant un certain seuil d’éco-conception (voir encadré) : constituants facilement démontables pour améliorer la qualité du tri, recyclabilité, intégration de matériaux recyclés dans les process de fabrication, opportunités de réemploi…

Les déchets du bâtiment en chiffres

Le secteur du bâtiment aujourd’hui compte pour 19 % de la production de déchets du BTP, soit 46 millions de tonnes par an. Ils proviennent :

  • à 49 % de la démolition ;
  • à 38 % de la réhabilitation ;
  • à 13 % de la construction neuve.

Le taux global de valorisation de ces déchets varie de 48 à 64 % selon les différentes sources. Par activité il est de :

  • 60 à 80 % pour la démolition ;
  • 10 à 30 % pour la réhabilitation ;
  • 40 à 60 % pour la construction neuve.

Par type de déchets il est de :

  • 60 à 70 % pour les déchets inertes ;
  • 30 à 50 % pour les déchets non dangereux non inertes.

Source : ministère de la transition écologique

Du flou sur la mise en pratique

L’autre grande inconnue, c’est le terrain. Comment le tri, la collecte, le stockage, le recyclage vont-ils se dérouler ? Au début de la chaîne sont les entreprises. « Pour bénéficier de la reprise gratuite, c’est à elles que revient la charge du tri des déchets sur chantier. Si elles font appel à un prestataire, c’est lui qui en bénéficiera », insiste le président de la commission environnement et construction durable de la FFB. L’opération n’est pas nouvelle mais elle n’a jamais pris une telle ampleur. Combien de bennes et de big bags supplémentaires sur site ? Où acheminer les déchets ? Quelles règles de tri ? « Il est impératif que les entreprises bénéficient d’un mode opératoire systématisé commun à tous les éco-organismes », ajoute Jean Passini. Cela devrait être chose faite selon les intéressés : « Un éco-organisme coordonnateur veillera au respect de l’harmonisation des pratiques », rappelle Arnaud Humbert-Droz, président exécutif de Valdelia. Si tout se passe comme prévu, il ne devrait alors rester à la charge de l’entreprise que le transport de ces déchets. Un poste qui pourrait, lui aussi progressivement être, au moins en partie, pris en charge par les éco-organismes.

En attendant l’urgence est au développement du maillage des points de reprise. La REP en impose un tous les 10 ou 20 km selon la densité démographique de la zone. Or, à ce jour, ce réseau n’existe pas et les éco-organismes sont à pied d’œuvre pour en augmenter le nombre, soit en contractualisant avec les déchetteries publiques et privées actuellement en mesure de prendre en charge ces nouveaux volumes de déchets, soit en en créant de nouveaux sites adaptés. Ces points de reprise bénéficient d’un financement de la REP, ce qui n’est pas le cas des opérateurs de gestion des déchets.

Stockage

Ce qui paraît simple en théorie se révèle encore une fois plus complexe à appliquer en raison du flou qui accompagne le rôle de chacun. Ainsi, avec la REP, les distributeurs sont soumis à une obligation de reprise des déchets lorsque leur surface de vente et de stockage est supérieure à 4 000 m². Cette exigence inquiète Franck Bernigaud, président de la Fédération des distributeurs de matériaux de construction (FDMC) : « Se pose tout d’abord la question du foncier disponible sur les différents sites. Le risque de manque à gagner est réel car les zones dédiées au stockage des déchets grignoteront fatalement sur les espaces de vente. De plus, serons-nous considérés comme point de reprise ou comme opérateur de gestion ? De ce statut dépend le soutien des éco-organismes. Nous ne pouvons pas, aujourd’hui, évaluer le coût réel de la REP sur nos activités. » D’autant plus que pour certains déjà impliqués, ce service était une source de revenus qui, avec la reprise gratuite, va de facto disparaître.

Attention au tri

Pour les entreprises, il s’agit de vérifier dès à présent si leur prestataire actuel sera bien partenaire des éco-organismes. À noter qu’une reprise sur chantier devrait également être progressivement proposée en fonction des volumes à récupérer. De plus, de la qualité du tri dépendant la gratuité, gare également à l’erreur. Par exemple « laine de verre et laine de roche ne doivent pas être mélangées. Si ces produits peuvent se ressembler, il y a suffisamment de différences au niveau de la « structure » de l’isolant pour les différencier », explique Caroline Lestournelle, déléguée générale du syndicat national des Fabricants d’isolants en laines minérales manufacturées (FILMM). « Les critères de propreté des déchets triés devront aussi être précisés pour garantir aux entreprises la reprise sans frais », rappelle également Manuel Decoodt, président de la commission développement durable de la Chambre syndicale française de l’étanchéité (CSFE).

Les volontés sont là. Toute la filière a conscience de l’importance de la réussite de la mise en place de la REP PMCB. Néanmoins, pour ne pas transformer la valorisation des déchets en usine à gaz avec ses gagnants et ses perdants, les retours d’expérience devront permettre de préciser et d’adapter les règles si nécessaire. Le rôle des éco-organismes est ici majeur grâce notamment aux nombreuses études et analyses que leur impose le cahier des charges les concernant. 

L’éco-conception : vers une vague de désamour pour certaines catégories de produits ?

« Les systèmes constructifs au sein desquels les matériaux sont difficilement séparables et/ou recyclables devront certainement évoluer à terme pour jouer le jeu de l’économie circulaire », souligne Lucile Charbonnier, directrice du développement durable et RSE chez Isover. Et rester compétitifs. On pense ici aux procédés tout collés ou composites qui demandent encore un effort important de recherche et développement pour être valorisés plus efficacement qu’aujourd’hui. La nécessité de se tourner vers des produits éco-conçus sera d’autant plus grande que leur éco-contribution sera réduite. Certaines filières, comme les isolants minéraux, sont avancées sur le sujet. Plusieurs industriels ont mis en place des systèmes de récupération et de réutilisation de leurs produits comme Isover avec Isover Recycling pour la laine de verre ou encore Rockwool avec Rockcycle pour la laine de roche. À noter néanmoins que ces opérations ont un coût énergétique assez lourd comme c’est le cas également pour l’acier.

Pour d’autres, les travaux de recherche et développement sont en cours mais pour le moment, aucune solution viable n’existe. De manière générale, c’est le cas de la plupart des produits composites dont les éléments et matériaux sont difficiles à séparer proprement. Pour le moment, ceux ne disposant pas de solutions pérennes sont incinérés et valorisés énergétiquement.

Les industriels vont devoir réfléchir en profondeur à la composition et l’élaboration de leurs produits. Pour atteindre les objectifs de la REP, « il faudra penser la déconstruction d’un ouvrage et les opportunités de recyclage et de réemploi au moment de sa conception » rappelle Jean Passini, président de la commission « environnement et construction durable » de la FFB. Un changement de paradigme complet qui pourrait bouleverser les pratiques constructives.