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Les critiques envers le développement anarchique des centres commerciaux en entrée de ville ces 30 dernières années semblent enfin entendues. La conception de ces espaces intègre aujourd’hui des considérations esthétiques et ludiques destinées à redorer leur image et à attirer le client.

« Un vrai désastre architectural et urbanistique ». Le constat dressé par Jean-Sylvain Camus, directeur de la communication de la Compagnie de Phalsbourg, foncière spécialisée dans l’immobilier commercial, fait aujourd’hui consensus. Les centres commerciaux, développés aux entrées des villes entre 1960 et 2000, sont dépassés à tous les niveaux. Cette critique de « la France moche », comme le titrait déjà le magazine Télérama en 2010, est entendue depuis quelques années par les pouvoirs publics (voir encadrés), et partagée par les particuliers mais aussi désormais par les promoteurs eux-mêmes. Le schéma d’implantation de ces quartiers, composés essentiellement de parallélépipèdes en acier, ne fonctionne plus y compris au plan commercial.

Économiquement rentables pendant 40 ans, les centres commerciaux perdent désormais en fréquentation et donc en rentabilité. Ils ne correspondent plus aux nouveaux modes de consommation. Dans cet univers déjà très concurrentiel, un nouvel acteur s’est invité : le commerce en ligne. L’arrivée d’internet a bouleversé l’acte d’achat en n’imposant plus de déplacement. Pour attirer les clients, il s’agit alors bel et bien d’inventer un nouveau modèle commercial afin d’offrir autre chose qu’un simple échange marchand.

Retail park

Symbole de ce renouveau de l’immobilier commercial : le retail park. Parc d’activités commerciales à ciel ouvert, il rassemble les enseignes dans un même ouvrage, ou dans des bâtiments très proches les uns des autres. Un seul parking dessert l’ensemble du site. Plus besoin de reprendre la voiture entre deux magasins. « Le retail park est devenu le moteur de la restructuration des entrées de ville, analyse Jean-Baptiste Suire, responsable opérations chez Apsys, autre acteur de la promotion commerciale. Il s’ancre dans une nécessité à la fois urbanistique et économique de rationalisation des zones commerciales souvent éparses et sans réflexion globale pour les constituer et les animer. » Le modèle est intéressant aussi pour les commerçants qui apprécient la dynamique du regroupement.
Ces centres commerciaux « nouvelle génération » illustrent aussi un changement de stratégie des acteurs en plaçant « l’expérience d’achat » au cœur du concept. Si l’offre commerciale reste sensiblement la même, le marketing et le design font leur entrée dans les politiques de développement avec la mise à disposition du client d’autres services : restauration, jeux, espaces verts… On ne parle plus de centres commerciaux mais de centres de « shopping » et de « lifestyle ». Ces zones souvent aseptisées et traitées de manière uniforme deviennent des lieux conçus pour faire naître des envies et créer du rêve dans un univers familier. « Les accueillir dans un environnement valorisé, c’est aussi pour nous, une façon de les remercier d’être venus jusque-là », souligne le directeur de la communication de la Compagnie de Phalsbourg. Et de les faire rester plus longtemps.

Certains poussent le concept plus loin encore en concevant des espaces qui ressemblent de plus en plus à des parcs d’attraction, comme par exemple, à Cagnes sur Mer (Polygone Riviera). Le projet controversé Europacity (groupe Immochan) s’autoproclame quant à lui « la nouvelle destination des loisirs du grand Paris ». Sa construction est prévue pour 2024 près de l’aéroport de Roissy. Plus de 350 000 m² de surface seront dédiées à des activités annexes (salle de cirque, ferme urbaine, manèges, parcs, hôtels, restaurants…) pour 230 000 m² de commerces, soit 20 % de surfaces en plus. À Caen, Ikéa vient d’obtenir l’autorisation d’extension de son site de Caen avec, à la clé, 8 000 m² d’équipements de loisirs, dont une piscine.

Liberté architecturale

Les choix architecturaux deviennent déterminants dans l’approche globale de ces projets. En tant que « vitrines » du centre commercial, la façade est en première ligne. Elle joue à la fois le rôle d’appel, d’identification et de valorisation esthétique. « Chaque ouvrage propose un univers de shopping différent qui s’exprime d’abord à travers son enveloppe », explique Jean-Baptiste Suir, responsable d’opérations chez Apsys. Les partis-pris architecturaux varient donc d’un établissement à l’autre en s’adaptant à son contexte. Sans toutefois casser les codes propres au commerce. Le retail park Waves de Moulins-les-Metz, par exemple, situé au cœur d’une zone commerciale de plus de 160 000 m², présente une vague aux effets miroir qui ondule le long du bâtiment conçu par l’architecte Gianni Ranaulo. « 38 000 m² de panneaux en inox poli d’1,5 m de large, 6 m de haut et 10 m de long forment la toiture qui se prolonge en façade », explique Cyris Villedieu, directeur des services travaux de la Compagnie de Phalsbourg. Le ciel et les arbres alentours s’y reflètent pour mieux le dissimuler. À l’inverse, le premier objectif de l’Atoll à Angers (dont la compagnie de Phalsbourg est également à l’origine avec à la conception l’agence aavp architecture) est de se faire remarquer. Le bâtiment veut être vu de loin et ce malgré l’absence d’enseigne affichée. « Sur 55 000 m² de façade ont été mis en œuvre un bardage en aluminium microperforé post-laqué. De couleur blanc nacré et rétroéclairé, il présente une double courbure qui encadre le bâtiment et constitue sa signature architecturale. Visible de l’autoroute, il devient un objet énigmatique qui attire l’œil. Cette ellipse est devenue un signal à l’entrée de l’agglomération d’Angers », décrit Cyris Villedieu.

La loi Pinel

Après l’échec de l’adoption de la proposition de loi Ollier Piron sur l’urbanisme commercial en 2012 - ce texte proposait de « réglementer l’établissement d’installations commerciales afin de prendre en compte à la fois les besoins des consommateurs et le paysage urbain»- le gouvernement a ré-ouvert le dossier en juin 2014 avec le vote de la loi relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (ACTPE) plus connue sous le nom de « loi Pinel ». Le texte « modifie le régime d’instruction des demandes de permis de construire et d’autorisation d’exploitation de surfaces commerciales, explique la Fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé Procos. Jusqu’alors, tout projet de surfaces commerciales, au-delà, d’un certain seuil, était soumis à l’examen d’une demande de permis de construire et d’une demande d’autorisation d’exploitation commerciale selon deux procédures dissociées. Avec la loi, une seule demande suffit, celle du permis de construire, pour engager les deux procédures qui désormais se superposent. » Cette demande doit être effectuée auprès de la Commission départementale de l’aménagement commercial (CDAC) qui rend sa décision en concertation avec la mairie de la ou des communes concernées. Une simplification des démarches sur le papier qui, en pratique, complique la donne pour les opérateurs. Les dossiers sont plus complexes et plus onéreux à monter. En outre, « n’importe qui peut faire appel de la décision, précise Alexandre Delapisse, responsable du bureau d’études du Procos. D’ailleurs, il arrive très souvent que l’initiative soit prise par un concurrent afin de retarder ou même d’annuler un projet. Le dossier monte alors au niveau national (CNAC). Il peut aller jusqu’au Conseil d’État. »
Parmi les critères étudiés : les problématiques environnementales, la gestion des flux de circulation, l’accessibilité… et la qualité architecturale. Les maires sont de plus en plus attentifs à l’impact de ces projets sur leur territoire et tiennent à être entendus lors des prises de décision.

Réhabiliter l’existant

Ces projets emblématiques sont encore exceptionnels. Le gros du marché reste le parc existant. Mais là encore, plus question de faire n’importe quoi. Les collectivités locales tentent d’imposer leurs exigences comme à Bordeaux, où la Communauté urbaine a rédigé en 2011 une charte afin « d’encourager une forme d’urbanisme négocié conciliant aménagement du territoire, intérêts économiques et considérations pour les besoins des habitants ». « Les collectivités peuvent lier leur décision à l’acceptation par l’opérateur de demandes annexes, telles que la construction d’une bretelle d’autoroute, le choix des enseignes… », ajoute Alexandre Delapisse, responsable du bureau d’études du Procos. Ikéa, par exemple, a fait le choix de s’associer à Bouygues Immobilier pour la construction d’un programme mixte associant une surface commerciale dédiée aux meubles kits avec des logements, des bureaux et des commerces. Mais ces initiatives ne suffisent pas à faire taire les critiques (voir encadré).

Les enseignes ont néanmoins compris le message et s’adaptent aux nouvelles attentes de leurs clients. Pour réhabiliter ces zones, plusieurs possibilités : la construction neuve, la rénovation de l’existant ou la destruction-reconstruction. Avec à chaque fois le même objectif : améliorer son image, créer une identité visuelle modernisée, tout en améliorant les performances énergétiques de l’ouvrage… Cette approche joue logiquement en faveur d’une valorisation architecturale de ces bâtiments. Quelle que soit l’envergure du projet, les maîtres d’ouvrage font, de plus en plus, appel aux architectes pour le concevoir. Et leur laisse une certaine liberté. Les cahiers des charges tracent les grandes lignes du projet et fixent les budgets mais, la plupart du temps le choix des formes, des couleurs et des matériaux revient à l’architecte. Sauf « lorsque le groupe dispose d’une charte graphique, ils nous demandent généralement de retrouver dans le design les codes principaux », précise Frédérick Gauthier, architecte associé au sein de l’agence TPGM architectures. Résultat, il n’est plus rare de voir des parements en aluminium sur des Lidl ou des Mac Donald, du zinc sur des Leclerc et du bois sur des Décathlon.

Diversification des produits

Pour répondre à ces demandes, les industriels ont développé des produits adaptés. Le mode constructif reste inchangé (structure en acier associée à un bardage double peau) mais l’habillage monte clairement en gamme. L’acier n’a plus l’exclusivité sur ce marché. Tant que les exigences esthétiques et énergétiques étaient minimes, ce procédé peu coûteux, léger, facile et rapide à poser, a longtemps permis de construire des ouvrages standardisés. Aujourd’hui, aluminium, stratifié HPL, fibres-ciment, terre cuite, bois…..

La performance énergétique des centres commerciaux

Dans le neuf, les surfaces commerciales sont soumises aux exigences énergétiques de la RT 2012 depuis 2013. Elles peuvent également viser des labels de qualité, tels que HQE ou BREEAM. En rénovation, amélioration des performances de l’ouvrage et montée en gamme architecturale vont de pair. « Dans les deux cas, le bardage offre de nombreuses solutions pour nous permettre d’atteindre des objectifs d’isolation thermique, d’intégration d’équipements techniques… », souligne Jean-Baptiste Suir, responsable d’opérations chez Apsys.

Ces matériaux traditionnellement utilisés en bardage rapporté sur maçonnerie trouvent de nouveaux débouchés. Le bois fait d’ailleurs une entrée remarquée sur le marché. « Qui aurait pu penser il y a encore cinq ans qu’un hypermarché pouvait afficher un bardage en bois ? », se réjouit Frédéric Doucet, Directeur commercial du groupe FP Bois. Certains fabricants ont même fait le choix de l’Avis technique (Trespa, Fundermax, Eternit…) afin de valider l’admissibilité de leurs produits sur du double peau. Les industriels spécialisés dans les panneaux sandwich se positionnent aussi sur ce secteur. Kingspan ou ArcelorMittal proposent des gammes de procédés avec des choix d’aspect, de couleurs et de dimensions variés. L’objectif : « créer une alternative au double peau », explique Eric Voltaire, chef des ventes France et responsable de la prescription chez Kingspan.

Les possibilités de façonnage des parements et la réalisation de couleurs sur mesure complètent le panel de possibilités. « Les grands centres commerciaux ont clairement tendance à privilégier le haut de gamme, confirme Peggy Schouller-Guinet, chef de produits revêtements et façades chez ArcelorMittal Construction. Lames, clins, cassettes, parements plans ou perforés, jeux sur les ondes, effets de matière, de couleurs… Les demandes sont très variées. »

Augmentation des budgets

L’enveloppe allouée aux travaux de construction a logiquement augmenté. D’autant plus que « les prix de ces produits aujourd’hui couramment employés ne connaissent qu’une très légère baisse et sont toujours perçus comme luxueux », rappelle Gilles Prévost, dirigeant de l’entreprise Acodi. « Investir dans un matériau un peu plus cher que d’autres à l’achat, mais avec une durée de vie beaucoup plus longue et ne nécessitant que très peu d’entretien, permet finalement des économies sur le long terme et inscrit l’ouvrage dans une vraie démarche de construction durable », souligne Fabien Moulin, responsable marketing et communication de VMZINC.
Le jeu en vaut la chandelle. À Moulins-les-Metz, les seules vagues en inox ont coûté 9 millions d’euros sur un budget total de 75 millions. Un investissement impensable il y a encore quelques années, « rentabilisé par les taux de fréquentation, rappelle Jean-Sylvain Camus. A Angers, le retail park l’Atoll est un vrai succès. L’étude de clientèle réalisée huit mois après l’ouverture nous a confirmé que ce parti pris avait été apprécié des visiteurs. Au bout d’un an, avec 7 millions 200 000 visiteurs, le taux de fréquentation est bien plus important que prévu ».

Le centre commercial toujours en question

 

Les centres commerciaux vont-ils sonner le glas du commerce de centre-ville ? Ce débat « serpent de mer » représente en tout cas une menace soulignée par le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l’environnement et du développement durable remis le 20 octobre dernier à la secrétaire d’État au commerce Martine Pinville. Le taux de vacance des commerces intra-muros est passé de 6 % en 2001 à plus de 10 % en 2015. En cause notamment : « la création d’une grande surface supplémentaire pour 10 000 habitants accroît le risque de sortie d’un petit commerce de proximité à deux ans près », soulignent les auteurs du rapport. Pourtant, le gouvernement est resté muet sur ce sujet. La défense du commerce de proximité revient souvent aux acteurs locaux. L’exemple de la polémique autour de la construction d’un futur Ikéa à Nice est révélateur. Des personnalités de la vie politique locale et une association regroupant notamment des commerçants dénoncent les abus de l’urbanisme commercial et interrogent sur la pertinence de l’installation de 3 200 m2 de boutiques (hors Ikéa) alors que les petits commerces de la ville ferment les uns après les autres. Les partisans mettent en avant la mixité d’un programme pensé tant du point de vue énergétique qu’architectural. En plus de l’espace dédié à la grande surface spécialisée, l’ensemble comprendra des logements (16 700 m2 dont 33 % de logements sociaux) et des bureaux (1 870 m2) répartis sur 9 bâtiments. En outre, 350 emplois pourraient être créés. Les promoteurs de l’opération, Ikéa Développement et Bouygues immobilier, ont fait appel à une agence d’architecture de renom pour concevoir le projet, Wilmotte & associés. Situé à côté du stade Allianz Riviera, le projet s’insère dans un écoquartier et répondra à des exigences de performances énergétiques élevées. Le permis de construire a été finalement été accordé le mois dernier après trois ans de procédure. Mais la lutte n’est pas finie et les détracteurs du projet envisagent de déposer prochainement un recours auprès des autorités compétentes. Si l’issue semble jouée d’avance, cette action pourrait encore retarder le lancement du chantier.

Les surfaces commerciales  en France en chiffres

Le Conseil national des centres commerciaux (CNCC) a recensé en 2016 plus de 750 centres commerciaux implantés dans le pays, dont 20 % sont localisés en zone urbaine. En 2015, les Commissions départementales et nationales d’aménagement commercial (CDAC et CNAC) ont comptabilisé 1 288 000 m2 de surfaces commerciales ayant reçu l’autorisation d’exploitation, soit une chute de 41 % par rapport à 2014. En janvier 2016, le nombre de surfaces de plancher commercial ayant obtenu leur permis de construire a diminué de 7 %. On en compte aujourd’hui 4,8  millions de m2. Le volume de surfaces commencées chute de 21 % pour atteindre 3,1 millions de m2. « Ce ralentissement devrait se poursuivre, au vu, cette fois, de la diminution de 19 % du stock d’opérations d’immobilier de commerce projetées à 5 ans par les promoteurs », ajoute l’organisme.

Les créations l’emportent sur les transferts et extensions (76 % contre 24 %). Une première moitié est constituée d’ensembles commerciaux (création ou extension), l’autre se rapporte à des grandes surfaces (alimentaire, bricolage, jardinage).
Source : Procos