Entretien avec François Michel, spécialiste national « étanchéité, couverture, bardage » chez Bureau Veritas

 
 
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François Michel

Le contexte 

Diplômé de l’ESTP en 1985, François Michel a intégré Bureau Veritas en 1988. Après quatre années passées comme contrôleur technique généraliste, il s’oriente en 1993 vers les domaines de l’étanchéité, de la couverture et du bardage. Spécialiste national sur ces sujets, il assure un rôle d’assistance technique et de formation auprès des 550 ingénieurs « terrain » de la branche construction. François Michel est membre des commissions de normalisation des DTU des séries 40, 41 et 43. Il est également très actif au CSTB en tant que président du GS 5 (toitures, couvertures, étanchéités) et membre du GS 2 (façades légères, panneaux sandwich et bardages rapportés), du GS 20 (produits et procédés isolants spéciaux) et GS 21 (procédés photovoltaïques).

Bardage Info  : En bardage, quels sont les principaux points sur lesquels concepteurs et entreprises de pose doivent être vigilants ?

François Michel : Les retours de terrain nous font constater que la tenue au vent en général et une appréciation inadaptée des efforts en particulier sont les principales causes de sinistre en matière de bardage. Par exemple, en cas de mauvaise appréhension de l’orientation de l’ouvrage, les fixations peuvent céder, notamment dans les arêtes verticales. Les ossatures intermédiaires sont également potentiellement sources de dommages. Ces éléments minces sont vérifiés comme des poutres alors qu’ils peuvent subir des voilements locaux dès que les portées et/ou les sollicitations sont trop importantes. Autre point de vigilance : l’étanchéité à l’eau autour des baies. Les habillages et les conditions de canalisation de l’eau ne sont pas toujours conçus et réalisés avec la précision qu’il faudrait. Cela peut notamment être problématique à partir de 10 m de hauteur, spécifiquement en cas de bardage double peau ou de mise en oeuvre sur paroi de construction à ossature bois.

B . I . : Il faut dire que peu de référentiels s’appliquent au bardage…

F.M. En France, les dispositions constructives considérées comme traditionnelles sont intégrées dans des NF DTU ou des Règles professionnelles. En cas de non-traditionnalité, la mise en oeuvre de procédés est généralement encadrée par des Avis techniques. C’est le cas pour le bardage. Seuls les bardages en bois sont soumis à un NF DTU : le 41.2 relatif aux revêtements extérieurs en bois. En matière de bardage acier et aluminium, jusqu’à l’année dernière, l’unique référentiel était les Règles professionnelles (RP) de janvier 1981. Elles ne concernaient que les ouvrages pour lesquels la peau extérieure constitue le plan d’étanchéité à l’eau, soit avec des plaques nervurées avec nervures posées verticalement. Ces règles de plus de 30 ans n’ont pas intégré d’additifs comme les nouveaux modes de mise en oeuvre dus aux évolutions architecturales : pose à nervures horizontales, mise en oeuvre de clins, cassettes, lames… Pourtant, de nombreux chantiers ont été réalisés avec ce type de procédés alors que leur documentation technique faisait, à tort, référence à ces RP. En mai 2014 est paru le cahier 3747 du CSTB. Il représente une vraie avancée pour les bardages métalliques (aluminium, zinc, cuivre et évidemment, acier), notamment parce qu’il s’applique aux cassettes, aux clins et aux lames. S’appuyant sur un autocontrôle de son système par le fabricant, ce cahier comporte à la fois une composante « évaluation » (corrosion, étanchéité à l’eau, résistance au vent…), des règles techniques de mise en oeuvre et un domaine d’emploi pour les ouvrages à réaliser avec ces procédés. Il ne s’applique pas à un produit mais à un complexe et à sa mise en oeuvre. Les industriels, qui doivent donc en justifier les performances, les architectes et les entreprises se doivent de connaître ce document car il décrit les règles de l’art en matière de bardage en lames, clins et cassettes en alliage métallique. Il est le reflet de l’expérience reconnue et réussie. Presque comme un DTU !

B . I . : La récente parution de Recommandations professionnelles RAGE « Bardages en acier » et « Bardages en panneaux sandwich » va-t-elle changer la donne ?

F. M . Les Recommandations professionnelles RAGE « Bardages en acier » (juillet 2014) ont été publiées peu de temps après le cahier du CSTB 3747. Ce document était très attendu car il s’agit de l’évolution des Règles de 1981. Il est globalement satisfaisant. Les Recommandations professionnelles RAGE de décembre 2014 sur les bardages en panneaux sandwich à deux parements en acier et à âme polyuréthane posent, à mon sens, plus d’interrogations. Ces procédés étaient jusqu’alors régis par des Avis techniques qui définissaient des conditions d’emploi limitées : faible et moyenne hygrométrie, pose verticale, fixations traversantes, hors zone sismique concernée par la Réglementation de 2010… Seuls certains industriels avaient justifié d’un domaine d’emploi étendu comme l’utilisation en forte hygrométrie, la pose horizontale, les fixations cachées dans l’emboîtement, l’utilisation en zones sismiques… La parution des Recommandations RAGE bouscule ces principes et étend le domaine d’emploi aux utilisations susmentionnées sans que la capacité d’une assistance technique suffisante soit exigée. Admettre systématiquement ces dispositions constructives quel que soit le panneau sandwich ne risque-t-il pas de causer des dommages à l’ouvrage ? En tant que contrôleur technique, nous nous devons de poser la question. Il doit en être de même des maîtres d’oeuvre et des entreprises. La question de la constance de la qualité technique de la fabrication des panneaux se pose également. Un panneau sandwich de bardage sous Avis technique, qui rappelons-le est une démarche volontaire, est soumis à un suivi de fabrication de la part du CSTB. RAGE sous-entendant la notion de traditionnalité, il n’y a pas de suivi obligatoire. Or, la fabrication des panneaux sandwich est très technique. Comment sait-on que le produit est bien fabriqué et conduit à un ouvrage durable ? Certes, RAGE propose une marque de qualité européenne propre aux fabricants de panneaux sandwich, nommée EPAQ1, mais elle n’est qu’une option…

B . I . : Qu’en est-il des Eurocodes ? Sont-ils adaptés à l’enveloppe ?

F.M. Ils sont une révolution dans le domaine de l’enveloppe. Au départ, les Eurocodes sont destinés à harmoniser au niveau européen les règles de conception et de calcul des structures des bâtiments. Les Eurocodes 0 et 1 concernent l’aspect sollicitation. Les autres sont dédiés aux matériaux. Pour l’acier, il s’agit de l’Eurocode 3 et pour l’aluminium l’Eurocode 9. En France, les pouvoirs publics ont incité les professionnels à les étendre également à l’enveloppe afin qu’ils remplacent les règles Neige et Vent 65. Ces dernières donnaient pourtant satisfaction. Les Eurocodes introduisent une approche calculatoire qui n’est pas forcément adaptée aux façades. En effet, certaines caractéristiques propres au bardage ne sont pas abordées dans ces documents, comme par exemple les assemblages tôle sur tôle que l’on retrouve avec les cassettes ou les clins, les notions d’emboîtement ou de déboutonnage et les risques de déformation excessive pouvant remettre en cause l’étanchéité à l’eau. Même si RAGE « Bardages en acier » prend le relais sur certains points, les rédacteurs des textes techniques doivent être attentifs à ces difficultés de même que les concepteurs et les entreprises.

B . I . La réglementation sismique est-elle plus adaptée au bardage ?

F. M . La sismique est règlementée par l’arrêté de 2010 et ses modificatifs, rendant obligatoire l’Eurocode 8 partie 1. Il est à noter qu’il n’aborde pas le bardage mais, encore une fois, uniquement la structure de l’ouvrage. Il est donc compliqué à appliquer à l’enveloppe, d’autant plus qu’il s’agit, dans ce cas également, de calculs complexes que les entreprises n’ont pas l’habitude de gérer. De plus, par principe de précaution, les zones à risque sismique potentiel ont été étendues à l’ensemble du territoire et plus seulement aux quelques régions usuellement soumises à des tremblements de terre comme les massifs montagneux ou la plaine d’Alsace. Une des conséquences de ces changements, qui ne devait pas avoir été prévue par les décideurs, c’est que cela a créé des tensions sur les projets et les chantiers. L’arrêté de 2010 et ses modificatifs imposent la prise de dispositions technologiques complémentaires spécifiques (essais de mise en parallélogramme, essais dynamiques, largeurs de pinces accrues, fractionnement des planchers dans certains cas, etc.) et donc plus onéreuses et dans tous les cas chronophages. Certes le Guide des éléments non structuraux (ENS) de juillet 2014 du ministère de l’Écologie et du développement durable fournit des outils pour calculer les efforts sismiques mais il invite aussi implicitement les professionnels à établir des textes pour que soit vérifiée la capacité des procédés de bardages à supporter ces efforts.

B . I . Quelles sont les conséquences de la RT 2012 sur la conception des enveloppes ?

F.M La RT 2012 est une autre révolution. Elle a des conséquences importantes sur le fonctionnement de l’enveloppe notamment au niveau mécanique : augmentation des épaisseurs d’isolant, modification des fixations… Les bureaux d’études thermiques conçoivent des ouvrages qui sortent du cadre de l’expérience reconnue et réussie que l’on connaît. Cela remet également en cause les autres enjeux fondamentaux que sont l’étanchéité à l’eau et la durabilité. Là encore, les référentiels techniques nécessitent des évolutions accompagnées des justifications nécessaires. Par exemple, les Recommandations professionnelles RAGE sur les bardages en acier n’abordent pas le cas des bardages double peau à fixations avec entretoise qui restent soumises, à juste titre, à la procédure d’Avis technique du GS2.

B . I . Thermique, sismique, technique… Les évolutions sont rapides et nombreuses pour le bâtiment.

F. M. Depuis 10 ans, le secteur vit une révolution. Tout le monde n’en a pas encore pris conscience. Des décisions stratégiques sont parfois prises sans penser aux éventuels désordres qui résulteront de ces développements. On ne se donne pas le temps de prendre du recul alors qu’il convient d’avoir toujours en tête que la règlementation qui s’applique au bâtiment est la Loi Spinetta (article 1792 du Code Civil), loi de présomption de responsabilité pour les entreprises, les architectes et les contrôleurs techniques. Les entreprises doivent aussi s’approprier non seulement ces nouveaux textes mais également les produits et procédés qu’ils mettent en oeuvre. Il est nécessaire qu’elles s’autocontrôlent. Le marquage CE rend les choses difficiles car les normes européennes harmonisées sont avant tout destinées à la libre circulation des produits, sans forcément garantir des performances techniques pertinentes et suffisantes, adaptées à la durabilité des ouvrages réalisés avec ces produits. C’est pourquoi les entreprises doivent s’autocontrôler et contrôler ce qu’elles achètent car trop souvent les déclarations de performances liées au marquage CE sont admises sans analyse technique critique. Et ce même si la fabrication du produit en question est très technique. Or, ce qui est annoncé peut être très éloigné des performances jusquelà reconnues pour conduire à des ouvrages donnant satisfaction.