Entretien avec Pascal Girardot, responsable du domaine prévention de l’usure professionnelle à la direction technique de l’OPPBTP.

 

Pour prévenir les risques de troubles musculosquelettiques (TMS), la mise en place d’une démarche cohérente adaptée aux contraintes de chaque entreprise mais aussi de chaque chantier est indispensable. Récemment arrivés sur le marché, les exosquelettes sont une piste intéressante mais ne peuvent être considérés comme une solution miracle.

Bardage.Info Les professionnels du bardage sont-ils concernés par le risque de TMS ?

Pascal Girardot Oui, comme toutes les professions du bâtiment. Il s’agit même de la première cause de maladies professionnelles du secteur. 85 % d’entre elles sont des TMS. Ils touchent particulièrement les épaules, les poignets, les coudes et le dos.

B.I. Pourquoi se déclarent-ils ?

P.G. Les TMS sont difficiles à prédire car ils apparaissent progressivement, en raison d’une conjonction de facteurs qui s’additionnent. Dans le BTP, les principaux sont d’ordre mécanique et physique : les efforts trop importants lorsqu’il faut porter de lourdes charges, les postures extrêmes et la répétition de gestes. Il faut également y ajouter le travail au froid, les éventuelles contraintes de temps et d’organisation de chantier ainsi que les dispositions personnelles des opérateurs.

B.I. Quelles sont les solutions pour prévenir le risque de TMS ?

P.G. Il faut avant tout réduire ces trois contraintes mécaniques avec la mise en place de solutions organisationnelles et techniques permettant de réduire ou supprimer le risque à sa source. Cela passe par exemple par la réduction du poids (et donc de la taille) des éléments à soulever ou le recours à des outils d’assistance comme des ventouses ou des équilibreurs de charge.

B.I. Les entreprises s’emparent-elles de la problématique ?

P.G. La très grande majorité souhaite mettre en place des mesures de prévention. Mais beaucoup manquent de ressources : pas le temps, pas l’argent et surtout, pas la méthode. Celles qui se lancent n’appliquent alors pas de démarche construite et cohérente. L’efficacité de leurs actions s’en trouve fortement limitée. C’est le rôle de l’OPPBTP de les accompagner dans l’analyse de l’existant et la définition d’actions adéquate.

B.I. Depuis quelques années, on entend beaucoup parler des exosquelettes pour assister les opérateurs. Ces solutions sont-elles efficaces ?

P.G. Nous manquons de retours d’expérience et aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure d’affirmer que les exosquelettes permettent de réduire les risques de TMS. C’est pourquoi l’OPPBTP ne les considère pas comme des Équipements de protection individuelle (EPI). En revanche, ils semblent avoir un effet positif sur la fatigue des opérateurs. Ils peuvent également jouer un rôle lorsqu’un collaborateur est sous le coup d’une restriction médicale d’aptitude pour lui permettre de se maintenir au poste et, pour l’entreprise, de conserver son savoir-faire. L’emploi peut alors être préservé.

De manière générale, une analyse plus approfondie est nécessaire et nous sommes preneurs de témoignages, bons ou mauvais. Ce que l’on sait, c’est que lorsque l’achat d’un tel équipement a été réalisé, près d’un sur deux n’est plus utilisé quelques semaines après son achat. La raison n’est pas forcément son inefficacité mais parce que cette acquisition n’a pas été réfléchie dans le cadre d’une démarche d’intégration et d’acceptation de l’outil par les équipes. Or, la participation des opérateurs à la décision est ici une condition absolue de réussite. Elle aboutit généralement à la prise de conscience que des actions plus simples seront plus efficaces. L’exosquelette devient finalement la porte d’entrée à la mise en place des solutions évoquées plus haut. Toute solution collective sera préférable à l’exosquelette, celui-ci devient utile quand aucune autre solution d’assistance physique n’est envisageable

B.I. Comment fonctionnent les exosquelettes ?

P.G. Il en existe deux grandes familles. Les premiers sont dits « passifs ». Ils participent aux reports de charges entre les bras et le bassin grâce à des dispositifs élastiques de type ressorts. Ils épousent la forme du corps et la plupart pèsent 2 kg ou moins. Les seconds, « actifs », sont équipés de moteurs, de capteurs et de batteries. Ils sont donc plus lourds et plus chers. Ils sont encore très peu utilisés dans le BTP.

B.I. Comment choisir son exosquelette ?

P.G. Dans le BTP, les tâches sont diverses et s’enchaînent rapidement. Il faut analyser les contraintes réelles des situations rencontrées par les intervenants. En effet, aucun exosquelette ne peut prétendre assister l’opérateur dans toutes ses tâches : il pourra être adapté dans certaines situations et venir gêner le geste professionnel dans d’autres. Et il n’est bien sûr pas question de le mettre et l’enlever à chaque changement de posture. Par exemple, le bardeur est souvent amené à lever les bras. C’est un fait mais il faut le caractériser, et ce pour chaque intervention : pendant combien de temps doit-il tenir cette position ? Se baisse-t-il également ? Car nous avons remarqué qu’il suffisait que l’opérateur soit gêné par l’exosquelette même peu de temps pour qu’il l’abandonne.

Il faut aussi bien s’assurer de sa compatibilité avec les équipements utilisés par le compagnon et l’environnement dans lequel il est amené à évoluer. Ainsi, tous ne sont pas compatibles avec une évolution sur échafaudages en raison du risque d’accrochage, s’il faut passer par une trappe… Ils ne peuvent pas non plus être utilisés en plus d’un harnais anti chute car on ne connaît pas les comportements en cas d’accident.

B.I. La dimension psychologique intervient également…

P.G. Oui. Endosser un exosquelette modifie l’identité corporelle de l’opérateur. Le regard des autres, l’image que l’on a de soi jouent un rôle dans l’acceptation de ces équipements. Les entreprises ont besoin d’accompagnement. C’est pourquoi nous travaillons actuellement à la rédaction d’une norme ainsi que de plusieurs documents qui définiront la démarche d’intégration d’un exosquelette dans les méthodes et les collectifs de travail des entreprises.